Bonjour !
Aujourd’hui, je vous propose de découvrir une perle, que j’ai mis longtemps à trouver. Il s’agit du livre du père Gillet paru en 1910 intitulé la virilité chrétienne. L’auteur, docteur en philosophie et en théologie, enseigne alors à l’université de Louvain. Par la suite il deviendra maître de l’ordre dominicain, puis archevêque d’Asie mineure. Ce livre est un recueil de conférences adressées aux étudiants catholiques de l’université. Tout comme Bilbo dans le Seigneur des Anneaux, ce bouquin a 111 ans et n’a pas pris une ride… C’est du lourd.
Bon. Je vous vois venir, vous vous dites « C’est très bien tout ça, mais hum… Est-ce que c’est pas un peu paradoxal de faire un livre sur la virilité ? Est-ce qu’on est sûr que la lecture soit compatible avec la virilité ? Je veux dire, il risque d’y avoir tout un tas de mots à lire et tout… » Sans compter que les filles vont s’exclamer avec Foresti : « ça ne nous concerne pas. Et puis c’est pas un secret la virilité : du steak, des patates et une voiture et puis c’est marre ! ».
Tout ça explique pourquoi j’ai dû remonter jusqu’à 1910 pour trouver quelque chose d’équilibré sur le sujet. A l’époque, ils avaient un terme pour désigner l’idéal au masculin : « l’honnête homme », qu’on disait. L’honnête homme c’est un chic type, un corps sain dans un esprit sain. Le capitaine de son âme. Le livre Indomptable : le secret de l’âme masculine d’Eldredge nous a fait toucher cela en parlant de la vocation de l’homme.
Ici, le père Gillet se penche sur autre chose : la compatibilité entre un chrétien et un homme. A l’époque déjà, on voulait faire de notre Dieu rouge sang un Dieu rose bonbon, et les jeunes hommes auxquels s’adresse le dominicain sont confrontés à ce genre de discours. C’est vrai qu’à force de lutter contre ses passions, on peut avoir l’impression d’éteindre le feu qui court dans nos veines, de saboter notre force intérieure. Le père Gillet prend le taureau par les cornes, et se charge de nous expliquer tout ça.
Non seulement être un homme est compatible avec être un chrétien, mais c’est même le meilleur moyen : « Si d’une part l’idéal humain lui-même ne se réalise pleinement qu’avec la grâce, d’autre part l’idéal chrétien à ses plus hautes cimes ne peut être atteint de façon durable et réelle que par celui qui réalise constamment l’idéal humain. », nous dit le père Gillet.
En somme chouette, va y avoir de l’action. Nous avons une certaine tendance à exalter la grâce, à interpréter la petite voie de sainte Thérèse de Lisieux de telle sorte que nous confondons mérite et orgueil. Bien sûr, hors de Dieu point de salut, et sans la grâce nous ne pouvons rien faire. M’enfin ça ne veut pas dire que l’on doit se laisser faire et attendre la grâce comme on attend la pluie. Fénelon et le quiétisme défendaient cette vision des choses, où l’âme attend paresseusement son sauveur. Bossuet s’est chargé de remettre les pendules à l’heure : nous ne sommes pas des pantins, agités au grés des vents qui ne pouvons qu’espérer que tout ira bien.
Nous sommes responsables. De peu de choses face à Dieu, certes, mais responsables néanmoins. Car de notre attitude dépendent la durabilité et la profondeur des grâces que nous recevons de Dieu. En somme le terreau où tombe la graine, c’est bibi. Comment donc se disposer de la meilleure manière à recevoir la grâce ? Par le fait de cultiver les vertus.
Tout d’abord, il y a les vertus naturelles, dont l’acquisition dépend en bonne partie de nous. En premier lieu bien sûr ce sont les vertus cardinales, ces vertus charnières qui permettent à notre action d’être plus que le simple résultat mathématique des influences que nous subissons. Par l’exercice de la prudence, de la tempérance, de la justice et de la force, nous nous libérons du déterminisme et de la fatalité de notre condition.
Ensuite, il y a les vertus surnaturelles, qui sont entièrement données par Dieu. Ce sont les vertus théologales de foi, d’espérance et de charité. Le père Gillet les présente de telle sorte qu’on pourrait assimiler la foi à une carte, l’espérance à une boussole et la charité à nos guiboles. La foi est une connaissance (qui peut être seulement théorique et morte, ou pleinement vécue et vivante), l’espérance est la disposition à espérer la béatitude (que malheureusement nous avons tendance à éprouver davantage quand tout va bien que quand tout va mal et que nous en avons le plus besoin), et la charité est ce qui anime réellement toute notre âme, et nous pousse vers le bien, autrement dit vers Dieu.
Par le choix de petites habitudes quotidiennes, nous acquérons les vertus naturelles et nous développons les vertus surnaturelles, le tout afin d’accueillir du mieux possible la grâce. Ce qui est très intéressant c’est que d’une part l’auteur dénonce notre tendance catastrophique à cultiver les vertus jusqu’à un certain point à partir duquel nous estimons nous être suffisamment éloignés du péché pour pouvoir baisser nos défenses et reprendre nos habitudes initiales. Cette manière de faire témoigne d’une conception erronée du combat spirituel, qui fonctionne un peu comme la révolution et le vélo en fin de compte : quand on arrête de cultiver les vertus, celles-ci ne stagnent pas mais s’effondrent. D’ailleurs l’exercice régulier des vertus est un… exercice, autrement dit l’effort pour les mettre en pratique est de plus en plus facile, ce qui veut dire qu’on peut faire de plus en plus de bien aussi. Faut juste pas s’arrêter.
D’autre part, l’auteur nous explique que l’exercice d’une vertu implique en permanence d’utiliser notre conscience. On a tendance à croire que l’objectif est de mettre en place des automatismes, des réflexes vertueux qui feront de nous de bons petits soldats du Christ, alors qu’en réalité l’exercice de chaque vertu impliquera de prendre des initiatives très variées selon les situations. Parfois la prudence c’est de se retenir, parfois c’est au contraire d’agir.
Et c’est ici à mon avis que se situe le quiproquo entre la virilité et la vie chrétienne : nous croyons parfois avec le monde que les vertus sont des chaînes qui nous empêchent de devenir nous-même en nous soumettant à une autorité arbitraire, pour ne pas dire tyrannique. Un bon chrétien c’est un gars qui baisse les yeux quand ça chauffe et qui relève le menton après la mort des héros, un type qui se terre dans une sphère sociale rétrograde et autarcique, d’où il peut récriminer contre le reste de l’humanité en l’accusant de n’être pas parfaite. Un inconscient, qui ne connait pas la réalité à cause de sa lâcheté.
Justement, le père Gillet distingue le chrétien qui ne cherche pas à comprendre, celui qui agit par lâcheté et conformisme (parce qu’aujourd’hui encore, il y a du conformisme chez les chrétiens. si si.), ; et le chrétien qui vit en homme libre, pour qui la foi est une question centrale sans laquelle aucune question ne peut trouver de réponse. La différence c’est que le premier n’a jamais vraiment entrainé sa volonté car il a négligé son devoir, et le second, en pliant sa volonté à l’exercice de son devoir, a ordonné sa vie et ses activités quotidiennes de façon à déployer son âme et sa fécondité spirituelle au maximum de ses capacités humaines. L’homme d’action, c’est le deuxième.
En somme, quand on fait ce qu’on veut on ne veut pas ce que l’on fait, et quand on apprend à vouloir ce que l’on doit, on peut faire ce que l’on veut. Si ce n’est pas assez obscur, et pour emberlificoter le tout parce que je suis d’humeur taquine (tel Bilbo à sa fête d’anniversaire), si l'on reprend les paroles de saint Augustin « aime, et fais ce que tu veux », on comprend que l’exercice de la charité implique l’amour du devoir. Ce devoir n’est autre alors que l’exercice très concret de notre vocation, ce qui est très intéressant puisque cela amène l’auteur à encourager les chrétiens dans le respect de toute forme d’autorité - tant qu’elle n’est pas contraire aux commandements de Dieu bien sûr.
Nous ne sommes pas (et ne pouvons moralement être) d’accord avec chacune des décisions de notre gouvernement. Cela dit, il faut admettre que notre prudence tourne parfois à la méfiance, et peut engendrer de la défiance vis-à-vis de questions qui n’ont plus rien à voir avec la morale. Cela vaut pour la politique nationale, mais aussi pour l’autorité professionnelle, associative, paroissiale etc… Si nous sommes tout à fait fondés pour réfléchir sur la restauration et la fécondité de notre société, en revanche il nous faut admettre que dans beaucoup de situations notre réticence à suivre telle ou telle autorité tient plus de l’orgueil que d’une réflexion morale proprement dite. Dans ces cas-là notre attitude nous dessert et affaibli notre force de volonté, car nous préférons la facilité (l’idéal abstrait) à l’obéissance. Sans compter le contre-témoignage que nous offrons alors au monde.
Cet article commence à s’allonger donc je vais terminer rapidement sur trois mortifications que propose l’auteur : mortification de la chair (ce qui permet de maîtriser ses passions pour passer de la bête à l’homme), mortification de l’esprit (qui permet par l’exercice de l’humilité de mieux saisir la réalité et donc d’être honnête quant à soi-même), et enfin mortification de la volonté (à travers l’obéissance et le sens du devoir chrétien, qui permet de passer de l’Homme à Dieu en se mettant sous la coupe du Saint Esprit).
Enfin tout ça pour vous dire que si vous avez besoin de vous repérer dans le combat spirituel, si vous avez besoin d’y voir clair dans l’éducation des jeunes et moins jeunes, ce livre donne des pistes très intéressantes, avec une verve et une rigueur vraiment exemplaires.
Lisez, méditez, agissez !
Bonne semaine,
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