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bonae voluntatis

Qu'y a-t-il de plus résistant comme parasite ? Une bactérie ? Un virus ? Un ver solitaire ?

 

Une idée. Des plus résistante et contagieuse. Une fois que l'idée s'est installée dans l'esprit, il est presque impossible de l'éradiquer. Une idée arrivée à maturité, à intelligibilité, elle s'enracine là-dedans, quelque part.[1]

 

Une idée qui semble si simple, si naturelle, qu’elle semble avoir attendu là, à portée de conscience, depuis l’aube de la civilisation. Une petite idée de rien du tout, qui change tout : nous sommes le peuple. L’autorité brime notre liberté. Ce devrait être à nous de gouverner.

 

Seulement voilà : l’idée une fois répandue ne s’arrête jamais. Elle se diffuse, s’enracine, pénètre les esprits jusqu’à transformer la réalité. Emise par quelques groupes d’opportunistes avides de changement, elle a bouleversé bien davantage que l’ordre politique d’une époque.


Car en fin de compte, il ne s’agit pas de n’importe quelle idée. Il s’agit d’un doute. Exactement comme dans le film Inception, le doute une fois transmis attaque, corrompt, désagrège et s’avère incontrôlable, engloutissant tout dans un chaos vertigineux et terrifiant.

 

Le doute s’attaque au réel, il le dévore jusqu’à ce que les hommes se demandent comment ils ont jamais pu croire, comment ils ont jamais pu avoir foi en quelque chose, avoir confiance en quelqu’un.[2] Nous prônons volontiers l’esprit critique, mais peut-être faut-il voir chez ceux qui se mettent à croire des théories farfelues le simple besoin de croire, d’avoir la foi. Et plus l’objet de leur foi est absurde, plus ils se réconfortent de leur victoire sur le scepticisme. A leur décharge, admettons qu’il n’est pas si simple d’endiguer ce raz-de marée d’acide.

 

Mais face au scepticisme et à la mauvaise foi se dresse ce qu’on peut appeler la bonne volonté. Alors que la mauvaise foi nous pousse à trouver notre jouissance dans le sabotage de ce qui nous entoure, la bonne volonté nous permet par la victoire sur notre amour propre à trouver notre édification dans le réel. C’est très exactement la définition que donne Chesterton du catholique : « une personne qui a rassemblé du courage pour faire face à  l’idée incroyable et inconcevable qu’il peut y avoir quelque chose de mieux avisé que lui-même »[3].

 

Belle claque, convenons-en dès maintenant. Car avec une définition pareille, pas sûr que nos églises soient remplies uniquement de catholiques à la messe du dimanche… Mais belle espérance aussi, car cela signifie que bon nombre de non baptisés sont des catholiques en puissance, qui n’ont besoin que d’une petite étincelle pour s’embraser ! C’est je crois le sens de l’adresse des encycliques depuis Jean XXIII, qui se termine généralement par « … et à toutes les personnes de bonne volonté »[4].

 

J’en veux pour preuve ce petit texte écrit à la main, trouvé dans les affaires de Karl Polanyi par sa femme :

 

« Il fut un temps où les sans-Dieu, les athées étaient appelés libre-penseurs. Nous avons depuis longtemps dépassé ce stade. Les athées comptent aussi de nombreux esprits étroits, paresseux et petits-bourgeois qui n'ont rien de libre en pensée, alors qu'un penchant religieux peut annoncer chez un homme la plus audacieuse des révoltes spirituelles. Au premier rang de ceux qui sont morts pour la liberté de pensée se trouvera toujours Jésus de Nazareth.

 

« Par liberté d'esprit nous n'entendons ni déni de la vérité, ni déni de l'éthique, de la loi ou de l'autorité.

Nous entendons bien au contraire qu'un esprit libre soit en quête inlassable de vérité, se conforme aux règles de la morale et agisse dans le respect de la loi et de l'autorité. Inlassablement et constamment. Sans jamais battre en retraite devant les considérations d'aucune sorte, sans jamais laisser la somnolence prendre le pas sur une vigilance alerte. Chercher la vérité au-delà de toute vérité de classe ou de race, suivre le chemin de l'éthique pure, dépasser les préceptes tout faits des "moralistes", prendre appui sur les fondements de la justice, quitte à se méfier de la loi, pour ne s'incliner que devant l'autorité de la bonté et de la vérité, et se retourner contre toute fausse autorité qui repose sur un succès corrompu et l'étalage de la puissance.

 

« Chercher ainsi la vérité, et quand les tabous de la tradition se dressent sur la route, agir selon les postulats de l'éthique, quand bien même les adeptes des compromis ou les opportunistes dénigreraient cette attitude en la taxant de "super-idéalisme", de "juvénilisme", de "donquichottisme" ou simplement de manque de maturité. Se battre pour la justice, même contre la loi, et élever un autel à l'autorité des héros de la bonté et de la vérité sur les ruines de l'autorité des conventions, du cynisme, de l'ignorance et de la léthargie de l'âme. »[5]

 

Alors je sais pas vous, mais moi une libre-pensée pareille je signe des deux mains. Nous voici loin des élucubrations oisives des salons de pensée du XVIIIème tels qu’ils sont décrits par Augustin Cochin ; ici c’est du vrai neurone, il y a du cran, de la niaque, des tripes - et par-dessus tout du cœur. Ça donne envie de découvrir ce Polanyi, n’est-ce pas ..?

 

Suite au prochain épisode, les amis !


[1] Christopher Nolan, Inception, 2010

[2] Voici à ce propos un extrait très édifiant de l’encyclique du pape Pie VI Inscrutabili divinæ sapientiæ contre l'athéisme et les idées des Lumières, promulguée le 25 décembre 1775 :

« §7 - En vérité, ces philosophes pervers, après avoir répandu ces ténèbres et après avoir extirpé des cœurs la religion, cherchent surtout à faire en sorte que les hommes dissolvent tous ces liens par lesquels ils sont unis entre eux et avec leurs souverains en les obligeant à faire ce qu’ils veulent ; ils proclament jusqu’à la nausée que l’homme naît libre et qu’il n’est assujetti à personne. Donc la société est une foule d’hommes ineptes, dont la stupidité se prosterne devant les prêtres (qui les ensorcellent) et devant les rois (qui les oppriment), à tel point que la collusion entre le sacerdoce et l’empire n’est rien d’autre qu’une épouvantable conjuration contre la liberté naturelle de l’homme. Ceux qui ne voient pas ces folies, et d’autres semblables qui sont couvertes de plusieurs couches de mensonges, procurent d’autant plus de tort à la tranquillité et à la paix publique que l’impiété de ces auteurs est punie tardivement. Et ils abîment d’autant plus les âmes, rachetées par le Sang du Christ, que d’autant plus se répand, comme le chancre, leur prédication, et celle-ci s’installe dans les académies publiques, dans les maisons des puissants, dans les palais des rois, et elle s’insinue – et c’est horrible à dire – jusque dans les milieux sacrés. »

Il faut noter que Pie VI répètera ce même passage dans son allocution quare lacrymae du 17 juin 1793 au sujet de la mort de Louis XVI. N’hésitez pas à lire cette allocution, c’est du lourd.

[3] Gilbert-Keith Chesterton, Le puits et les bas-fonds, DDB, 2016 (publication originale 1932), p.69

[4] Depuis Pacem in terris (11 avril 1963).

[5] Karl Polanyi, la subsistance de l'Homme, La place de l'économie dans l'histoire et la société, Flammarion, 2011 (parution originale 1977), Note sur la vie de Karl Polanyi, XXV-XXVI.

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