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Ceteris Paribus

Bonjour !


Dans le dernier article, primum non nocere, nous avons tenté de décrire comment naissent les structures de péché. Nous avons fait le lien entre ces structures de péché et l’idéologie de la libre pensée. Cela nous a permis de découvrir que notre liberté ne dépend pas uniquement de nos intentions à un instant t, mais qu’elle est aussi influencée par l’environnement dans lequel nous nous trouvons. En d’autres termes, la responsabilité de nos actions ne se résume pas à notre sincérité spontanée mais aussi dans une certaine mesure au raisonnement que nous avons – ou que nous n’avons pas – mené en amont. Car seule la raison peut nous faire comprendre que l’environnement influence notre cœur.


Par exemple, dans l’expérience de Milgram dont nous avons parlé, on comprend que le seul moyen pour la personne de briser l’escalade d’engagement qui la pousse à commettre un crime est de prendre avant d’agir le temps de la réflexion, pour choisir le seuil moral au-delà duquel elle quittera l’expérience, ce seuil où d’une simple expérience scientifique on passe à la séance de torture.


Voilà pourquoi j’avais choisi pour titre du précédent article l’expression primum non nocere, « d’abord ne pas nuire ». Au passage, cette locution chère aux médecins ne ferait pas de mal aux psychologues -ainsi qu’à tout homme d’ailleurs. Elle nous intime, avant d’agir, de regarder et d’écouter pour discerner les forces en présence afin de ne pas empirer les choses par notre action. C’est un appel à l’humilité et à la prudence, au fait de ne pas se fier exclusivement à ses émotions pour guider son action.


Ceteris Paribus, notre titre de ce jour, offre une autre voie. La locution complète, ceteris paribus sic stantibus, se traduit ainsi : toutes choses égales par ailleurs. Alors que Primum non nocere nous donne le réel, l’existant comme objet premier d’attention avant l’action, Ceteris Paribus place la pensée abstraite comme point de départ : toutes choses égales par ailleurs, c’est prétendre figer tous les paramètres qui ne concernent pas directement ma réflexion.


C’est une locution extrêmement importante, et bien utile car nous sommes incapables de garder en permanence l’ensemble du réel à l’esprit, nous ne sommes pas omniscients. Il nous faut donc faire la part des choses, et émettre l’hypothèse que rien ne bouge à gauche quand nous regardons à droite. Cet angle mort est inévitable.


Ainsi, de la même façon que nos émotions ne peuvent pas, pour les raisons que nous venons d’évoquer, être l’unique influence de notre comportement - au grand dam des sensualistes, notez - ; notre raison humaine, faute d’omniscience, ne peut gouverner absolument notre jugement. Au grand dam des idéalistes.


La logique universelle du réel


Il y a un juste milieu à trouver. Et, comme on a pu le dire, la réalité est un excellent critère d’équilibre : j’ai beau chercher à prouver par un calcul visiblement parfait que la pomme que mon voisin lâche ne me tombera pas sur le pied, à la fin de mon calcul la réalité (à travers mon orteil endolori) me rappellera que j’ai dû faire une erreur quelque part. La réalité émonde donc notre travail spéculatif. Mais elle ne fait pas que nous ramener sur terre quand nous sommes dans les nuages, elle nous met aussi des étoiles plein les yeux, et lorsqu’un phénomène naturel extraordinaire nous tombe dessus nous sommes poussés par son étude à faire avancer la connaissance. C’est tout de même pas trop mal fait tout ça.

En fait, la réalité nous dévoile au quotidien un langage, celui de la logique. Et ce, que nous nous trouvions sur le plan physique comme sur le plan moral. A ceci près, comme on a pu le dire, que l’ordre physique ne tolère aucune exception, tandis que l’ordre moral peut, en vertu de notre libre arbitre, être enfreint. Typiquement, mon orteil vous dira que la pomme de mon voisin n'avait pas d’autre choix que de me tomber sur le pied, mais en revanche il admettra qu’il aurait pu s’abstenir de botter le derrière de mon voisin. Or, si c’est - relativement – immoral de botter le derrière de son voisin, le fait que je puisse poser cet acte est permis grâce à mon libre arbitre.


Ceci étant, l’ordre moral reste logique, même avec le libre arbitre, car en l’enfreignant la personne humaine agit contrairement à sa nature, elle altère sa croissance par la dépravation que provoque son acte comme une conséquence naturelle de son refus du bien. On découvre ainsi que la croissance et la fécondité n’ont qu’une logique, et c’est la morale, tout comme les mouvements des objets ne sont réglés que par la logique des lois physiques.


Cela nous amène à comprendre que l’on peut faire le bien volontairement, guidés par notre raison, sans nécessairement être portés par nos sensations ou notre désir. C’est très important parce que, il faut l’admettre, nous ne sommes pas en permanence à désirer le bien. Et l’erreur serait soit d’attendre que le bien sente bon pour l’accomplir, soit de croire que ce qui sent bon constitue le bien à accomplir.


Cela nous amène aussi à une bien belle découverte : Dieu est logique. Ça n’a l’air de rien, mais ça soulage. Il n’y a pas de contradiction logique en Dieu. D’une certaine façon, la logique est le langage de Dieu qui s’exprime à travers sa création. Car la logique est universelle, omniprésente et systématique, et lorsque nous sommes perdus, déconcertés dans notre intelligence, nous avons toujours ce réconfort de nous dire que nous ne parvenons pas à saisir la logique mais qu’elle est là et qu’elle existe, que les choses ont un sens.


Descartes disait le contraire. Il prétendait que Dieu pouvait faire un cercle carré. Or, selon saint Thomas d’Aquin, « l’ordre de l’intellectualité est l’ordre divin même »[1], autrement dit la raison est fidèle à elle-même jusqu’au bout, il n’y a pas un étage supérieur où Dieu joue avec d’autres règles, Il est profondément réglo avec les règles mêmes qu’Il nous a fixées. C’est immense, et ça donne le frisson. Ça donne le frisson parce que cela veut dire que nous pouvons toucher la Vérité, qu’elle est -en partie, faut pas abuser non plus- à notre portée humaine à travers la logique.


Penchons-nous un peu sur l’affirmation de Descartes. Pourquoi déclare-t-il cela ? Cela ressemble à un compliment, et puis c’est impressionnant pour nous, pauvres mortels. On se dit que cela dépasse notre imagination. Et puis on fini par se dire que c’est complètement stupide, un cercle carré. Finalement, Descartes ne donne pas l’impression d’avoir vraiment confiance dans la logique. Il manque de foi. Il manque de simplicité, aussi. Ça me fait penser (excusez-moi j’ai du mal à lâcher son jarret à ce pauvre homme) à Lacan qui piétine le travail philosophique de Dalbiez. Cela fait aussi penser à Nolan et à ses paradoxes. C’est trop simple, tout ça. La Vérité nous dépasse, faisons-nous un beau labyrinthe et perdons-nous dedans plutôt que de nous prendre au mot. Car si Dieu peut faire des cercles carrés, alors plus rien ne compte vraiment, il n’a fait que nous proposer une réalité quelconque, avec des lois conventionnelles qui miment et imitent la réalité sans jamais l’effleurer. Si Dieu peut faire des cercles carrés, alors Il triche, et s’Il triche, notre intelligence est vaine.


Mais si Dieu Lui-même ne peut pas faire de cercles carrés, alors tout s’éveille. Ce que je touche, ce que je vois, ce que je comprends est réel, de la réalité même de Dieu. C’est immense, et ça donne le frisson. Nos pieds retrouvent la terre, nous vivons, et – comble de bonheur – nous participons à l’être par notre vie. Trêve d’élucubrations, de théories alambiquées rongées par l’acide du désespoir et du cynisme, place au bon sens, à cette bonne vieille logique. Un chemin s’ouvre.


Comme quoi, même la logique est une question de foi. Intéressant, n’est-ce pas ?


Lisez, méditez, agissez, et à bientôt les amis !





[1] R. P. Sertillanges, La Philosophie de Saint Thomas d’Aquin, éditions Montaigne, 1940. P.41.

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