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Internet et pornographie : abstraction moderne et réalisme chrétien

Bonjour !


Aujourd’hui, je vous propose de parler d’un point que nous avons déjà effleuré dans plusieurs articles : internet, la pornographie et l'homme.


Les chiffres clés

Commençons par quelques chiffres : 49% de la population adulte du Royaume-Uni avait visité un site pornographique en septembre 2020, soit un peu moins qu’Instagram mais un peu plus que Twitter.[1]


Il s’agit d’une étude anglo-saxonne, me direz-vous. Concentrons-nous donc sur les chiffres de notre cher pays. Selon le rapport d’information du sénat « porno : l’enfer du décor » du 21 septembre 2022[2] : On compte 19 millions de visiteurs uniques de sites pornographiques chaque mois en France (17 millions d’adultes, 1,1 million d’adolescents de 15 à 18 ans et 1,2 millions d’enfants de moins de 15 ans).


Il s’agit du commun des mortels, me direz-vous. Fort heureusement, nous catholiques sommes largement épargnés par ces déviances. Hum. Sur le site internet En sortir.fr, animé par la fraternité saint Pierre, on peut trouver un document très intéressant intitulé statistiques du porno chez les catholiques[3], qui nous apprend que parmi les 15/17 ans « catholiques pratiquants réguliers », 52% ont déjà surfé sur un site porno - soit 1% de plus que les jeunes de cet âge, que l’addiction au porno touche aussi les adultes et ne fait qu’augmenter. Comme disait mon aumônier scout, l’abbé Jouachim : « le porno, c’est la drogue des cathos… »


Si enfin vous pensez que les prêtres ou les séminaristes sont à l’abris, lisez l’audience du pape François du 24 octobre 2022 auprès des séminaristes et des prêtres[4]. D’ailleurs, l’étude d’Ofcom nous apprend que les hommes sont majoritaires dans ce sport : 4/5ème des utilisateurs sont des hommes[5], ce qui ne veut pourtant pas dire que les femmes sont épargnées, je vous renvoie à ce sujet sur le papier de la fraternité saint Pierre.


Alors voilà, on en est là. Si vous avez lu l’article L’apocalypse cognitive, ou Le numérique et les enfants, vous savez qu’on a déjà un peu parlé de tout ça. Michel Desmurget, chercheur en neurosciences cognitives, a publié un certain nombre d’ouvrages sur la consommation numérique. Vous trouverez un récapitulatif de ses découvertes en vidéo ici.


Toutes ces informations nous submergent, nous déstabilisent et nous imposent de trouver une réponse. Il y a plusieurs niveaux de réponse possible : la réponse matérielle, la réponse éducative et la réponse philosophique. Nous allons maintenant passer chacune de ces réponses en revue :


1) La réponse matérielle

Le papier de la fraternité saint Pierre résume très bien les règles d’or à appliquer :

- Mettre les lieux d’accès à internet dans un lieu de passage (salon, etc…) où tout le monde peut voir ce qui se fait sur l’écran. Eviter de prêter la tablette ou le smartphone qui peut être emmené dans la chambre.

- Par un mot de passe, rendre l’accès aux écrans impossible aux personnes fragiles quand elles ne sont pas accompagnées.

- Lorsque l’adolescent a réellement besoin d’un téléphone, lui fournir un téléphone à touches (ou un « dumbphone »), et non un smartphone (même avec un abonnement sans internet le téléphone pourra se brancher sur les réseaux wifi)

- Si, pour un motif mûrement réfléchi, une personne vulnérable est contrainte d’avoir accès à internet, ses proches ont un « devoir grave » d’installer un contrôle parental.


Notons au passage que le terme de contrôle parental est trompeur, dans le sens où il peut tout à fait s’appliquer à un adulte. A ce sujet ne tombons pas dans le panneau : si tant d'hommes sont touchés, c'est aussi que la tentation ne s’arrête pas à la fin de l’adolescence. Je vous renvoie aux articles Le premier couple béatifié de l’histoire et Le péché originel dans le couple, dans lesquels nous avons parlé de l’importance pour la femme de comprendre ce que représente le combat pour la chasteté chez l’homme. Répétons cela ici : la communication sur ces points est essentielle, il est absolument indispensable que la femme mariée (et même fiancée) comprenne ce que les écrans provoquent de si particulier chez l’homme. On ferait sans trop de risque le parallèle avec Jean-Paul II lorsqu’il secoue vigoureusement les prêtres qui font mine de ne pas s’intéresser à la sexualité conjugale par pudibonderie : lorsque la femme banalise ou se met des œillères sur ces sujets, il y a littéralement non-assistance à personne en danger. En revanche, cela ne signifie pas que l’homme doive se reposer sur la prudence de son épouse. Bref, il faut une authentique communication où chacun dévoile son être, sa vocation et ses difficultés à l’autre.


D’autre part, il faut mentionner ici les propositions telles qu’exodus 90 ou libre pour aimer, etc… qui permettent de reprendre les choses en main. Vous pouvez vous reporter aussi aux conseils contenus à la fin de l’article Le péché originel dans le couple.


2) La réponse éducative

C’est ce point-là qui m’a amené à écrire cet article. Je ne suis pas peu fier de vous avoir dégoté deux conférences tout à fait remarquables sur ce sujet. Figurez-vous que du 6 au 9 février 2012 a eu lieu à l’université pontificale grégorienne de Rome un symposium intitulé « Toward Healing and Renewal ». Ce symposium rassemblait les évêques et les supérieurs ecclésiastiques venant des quatre coins du monde pour aborder la question des abus sexuels sur mineurs commis dans l’Eglise. Les conférences qui ont été données sont accessibles ici.


Ce qui m’a le plus frappé à la lecture de ces conférences c’est la finesse, l’équilibre et la puissance de pensée développée par les auteurs. J’ai du mal à trouver des études en sciences sociales qui atteignent le quart de la moitié du cinquième de ce niveau de rigueur. C’est dans ce genre de situation que je comprends à quel point, en tant que catholiques, nous avons (pour peu que nous puisions dans notre trésor doctrinal) un niveau de réalisme sans égal, et ce d’où que nous venions sur la planète.


La deuxième chose qui m’a frappé c’est de voir à quel point la richesse des réflexions présentées est intéressante pour nous laïcs. La question des abus dans l’Eglise est une question repoussante : personne ne veut entendre parler de pédophilie. Il est donc difficile, à mon sens, de s’intéresser à ce sujet comme s’il nous concernait. Ceci étant, les conférences dont je vais vous parler ne s’appesantissent pas tellement sur les faits mais sur leurs causes, et sur la posture éducative que l’on peut adopter pour limiter les risques de déviance. Elles sont donc instructives bien au-delà de la question de la pédophilie.


Avant de poursuivre, il faut que je vous dise que malheureusement ces conférences sont en anglais. Pire encore, j’ai tenté d’en traduire des parties, j’espère que vous parviendrez malgré cela à comprendre ce que le conférencier veut dire et que les tournures de phrase ne vous arrêteront pas. Je vous mets mes tentatives de traduction pour la seconde conférence en pièce jointe.


La première conférence qui m’a interpelée s’intitule The internet and Pornography, elle est présentée par l’équipe VIRTUS. La première chose sur laquelle le conférencier insiste, c’est que les média doivent faire l’objet d’un apprentissage dans leur utilisation car les nouvelles technologies sont extrêmement rapides. Il est donc indispensable que les prêtres et les laïcs qui ont une responsabilité dans l’éducation pastorale donnent « l'exemple du discernement dans l'usage des média écrits ou audio-visuels »[6]. Ce qui est cocasse c’est que le conférencier ne fait ici que citer un document datant de… 1989. Comme quoi un petit rappel est toujours bon à prendre.


La seconde remarque est à mon avis extrêmement importante : « Un point central dans l'usage et l'abus d'Internet est le fait que, la plupart du temps, l’ancrage dans la réalité peut vite se dégrader. »[7] Ce point me parait absolument capital. Le conférencier poursuit :


« Voici plusieurs critères d’ancrage dans la réalité:


1. Connaissance du temps et de l'espace présent

2. Regard social sur soi-même

3. Regard lucide sur soi-même

4. Capacité à interpréter avec justesse ceux qui nous entourent

5. Capacité à anticiper les conséquences des actions et des comportements

6. Réfléchir et se comporter de manière appropriée selon les situations


« L'Internet - l'utilisation excessive et constante de celui-ci – remet en question bon nombre de ces manières de se repérer dans la réalité vis-à-vis de soi, des autres et de l'environnement : “j'ai souvent l'impression d'être seul au monde”.


« […] De plus, les addicts à Internet semblent incapables de surfer sans se mettre en péril, sans glisser insensiblement dans un gouffre. Ils ne parviennent pas à prendre clairement conscience de ce qui les attend. Internet devient littéralement, pour ceux qui en sont addict, un gouffre soigneusement camouflé pour faire prisonnier les hommes. Il peut être, il est souvent un piège, un leurre ou un danger dont il n’est pas simple de prendre conscience.


« Pourquoi internet pose tant de problèmes (Delmonico and Griffin) ?

1. Internet est interactif – il donne l’impression d’une relation

2. Internet est gratuit – rien de pire qu’un divertissement apparemment gratuit

3. Internet s’impose de lui-même – Il nous propose tant de choses

4. Internet est intégral – Il semble faire partie du quotidien

5. Internet isole – Il entrave les interactions réelles

6. Internet asphyxie – Il semble altérer les neurones et le corps de la même façon qu’une drogue


« Plusieurs appellent cela l’effet de désinhibition en ligne (ODE)

- Tu ne me connais pas

- Tu ne peux pas me voir

- Tout ça n’existe que dans ma tête (fantasme, rupture avec la réalité)

- Ce n’est qu’un jeu, une façon de s’amuser

- Nous sommes tous égaux »


Et le conférencier nous donne des pistes pour identifier ce glissement : « Les signes les plus prégnants de cette vulnérabilité sont des difficultés en lien avec le sentiment de solitude, l’isolement, le manque d’hygiène personnelle, une haute opinion de soi, le statut, l’absence d’éducation concernant cet aspect d’internet, et une capacité prononcée à compartimenter son propre fonctionnement – une séparation nette entre l’image de soi et l’image de Dieu, un sentiment de honte, d’hypocrisie et d’indignité. »[8]


Donc internet, lorsque nous n’y sommes pas convenablement préparés, nous fait perdre le sens de la réalité et peut exciter notre tendance à compartimenter notre propre fonctionnement. Ce point semble davantage nous concerner, nous les hommes. Il n’y a pas de statistiques sur la proportion d’hommes et de femmes qui mènent une double vie mais on peut dire – et d’ailleurs la psychologie comparée des sexes nous le confirme – que l’homme a une sorte de prédisposition au clivage, aux tiroirs, à mettre un aspect de son identité sous clé. Cette prédisposition, très utile dans la vie courante lorsqu’il s’agit de faire la part des choses face à un problème, peut devenir franchement pathologique lorsqu’elle est utilisée comme un bouclier contre l’unité ou la cohérence de vie.


C’est pour cela que la deuxième conférence est si passionnante. Prononcée par monseigneur Jorge Carlos Patrón Wong, alors évêque coadjuteur de Papantla au Mexique, elle s’intitule Candidates for the Priesthood and Religious Life. Selection, Screening and Formation[9].


Ce qu’il faut retenir dans cette conférence, c’est que l’orateur a une sacrée compétence dans la sélection et la formation des séminaristes. Et il nous parle du meilleur moyen pour accompagner les candidats au sacerdoce, pour juger de leur unité intérieure et pour accompagner la cohérence de vie des jeunes. Son discours est extrêmement instructif et il me semble qu’il peut être utile à toutes les personnes ayant un rôle éducatif, à commencer par les parents.


Tout d’abord, l’orateur nous prévient contre deux attitudes éducatives délétères : la figure d’autorité qui est uniquement préoccupée par la docilité extérieure aux règles, et la posture naïve de l’éducateur qui s’appuie sans jugement sur la prétendue liberté intérieure ou la prétendue maturité du jeune. Bien que le conférencier parle de l’accompagnement du séminariste et du discernement de la vocation, nous pouvons tout à fait prendre à notre compte ces conseils pour l’éducation des enfants, leur accompagnement dans les choix de vie qu’ils sont amenés à poser.


Ainsi, en forçant à peine le trait il peut être tentant pour certains parents de s’en tenir au maintien d’une discipline extérieure de ses enfants - ce qui flatte son orgueil social -, et pour d’autres parents de laisser à son enfant une trop grande liberté tout en se flattant de sa propre magnanimité. Si l’on reprend la thématique de la pornographie et d’internet en général, cela donne le parent qui prive ses enfants de tout accès à internet sans se soucier le moins du monde de leur développement affectif et sexuel, ou alors le parent qui donne un accès libre à internet à ses enfants sans davantage se soucier de leur vie intérieure. L’évêque nous encourage à aller plus loin que cela, il nous encourage à être présents et disponibles au quotidien auprès du jeune, à comprendre les motifs profonds qui l’animent tout en le confrontant à la réalité de l’évangile.


Ensuite, monseigneur Wong nous explique qu’une personne au développement normal « possède la double capacité de se différencier et de s’intégrer. Cette capacité permet à l’individu d’établir ses propres limites par rapport aux autres (différenciation) et, en même temps, d’assumer sa propre réalité, complexe et ambivalente, en unissant le passé et le présent autour d’un idéal qu’il projette dans l’avenir (intégration). Ces deux mouvements sont liés et c’est précisément l’harmonie de ce lien qui permet d’attester de la bonne volonté subjective et de la personnalité stable et saine de la personne. »[10]


Pour se faire une idée de la stabilité de la personne sur ces aspects, il faut observer comment elle se justifie en cas de conflit. Si elle ne prend en compte que les causes extérieures et se montre incapable d’évoquer les motifs intérieurs qui l’ont poussé au conflit, c’est un warning – d’autant plus lorsque le conflit est lié à de la jalousie ou à du mensonge. De même, si la personne reporte sans cesse la responsabilité de ses propres difficultés relationnelles sur les autres, si elle est incapable de se remettre en question, alors il faut craindre que sa véritable priorité soit de satisfaire ses besoins d’affection, de jouissance ou de pouvoir et non d’être un saint. D’ailleurs Mgr Wong donne en dernier indicateur lorsque la personne ne met pas à profit la prière, la vie fraternelle, le sport ou le devoir d’état pour avancer.


Ces points semblent bien éloignés de la lutte contre la pornographie. En réalité, ils sont très importants, parce que tout dérèglement de vie comme la pornographie n’est en fin de compte que le manque d’un bien, ce n’est qu’un déséquilibre. Il ne sert absolument à rien d’appliquer les réponses matérielles dont on a parlé si on ne se préoccupe pas de l’hygiène et de l’équilibre de vie du jeune (ou du moins jeune). Nous-mêmes n’avons pas besoin de souffrir d’une addiction à la pornographie pour bénéficier de ces conseils. Le conférencier poursuit : « Ces éléments sont vitaux […], car ils stabilisent l’identité et garantissent une unité de vie capable d’intégrer les multiples et diverses expériences propres à faire grandir les traits essentiels de la personnalité du bon pasteur : l’amour de la vérité, la loyauté, le respect humain, le sens de la justice, l’équilibre et la constance dans l’attitude et le jugement. » Autant de bonnes choses qui ne sont pas réservées qu’aux prêtres !


On le voit bien : ce dont il est question c’est la construction identitaire, c’est d’avoir une personnalité stable et forte capable de choisir Dieu au milieu du brouhaha du monde. L’auteur reconnait que ce n’est pas évident : « Il faut garder à l’esprit que, sur un plan sociologique, il n’est pas simple pour les jeunes d’aujourd’hui d’être assurés de leur identité sexuelle car ils doivent la définir au milieu d’une société « liquide » […] qui ouvre apparemment toutes les possibilités, partout et tout le temps, y compris les illusions d’Internet. Voilà pourquoi il est si important d’avoir au séminaire un environnement sain, avec des attitudes et un langage qui favorisent sans ambiguïté la construction identitaire. »


Par ailleurs, Mgr Wong explique que l’affectivité et la sexualité ne sont pas systématiquement liées, et que l’affectivité peut se libérer de la sexualité. « Ce point de vue est confirmé par la recherche en psychologie développementale : « Le réflexe sexuel de l’homme peut être indéfiniment différé ou aboli de façon fonctionnelle tout au long de la vie. Aucun autre réflexe physiologique n’a une telle souplesse dans son expression physique […]. Bien qu’il s’agisse d’une fonction physiologique naturelle, le réflexe sexuel peut être sublimé, limité, déplacé ou transformé au travers de l’inhibition de ses caractéristiques naturelles et/ou la modification de l’environnement au sein duquel il s’exerce. Ainsi, le reflexe sexuel en tant que fonction naturelle peut être sublimé, pour des raisons valables, lorsqu’un haut niveau de tolérance à la tension sexuelle est atteint. »[11] Voilà une excellente nouvelle à rappeler à tous les jeunes, tous les célibataires et tous les couples aussi d’ailleurs : contrairement à ce que nous avait fait croire Freud, la sexualité n’est qu’une partie de l’affectivité. Nous sommes libres de sublimer nos pulsions sexuelles de telle sorte que notre épanouissement affectif n’en dépende pas fatalement.


C’est là une excellente nouvelle, et il faudrait crier « aux captifs la libération ! » car malheureusement beaucoup trop d’hommes - même catholiques - se croient condamnés à suivre leur besoin sexuel, ils ne voient pas d’issue autre que de libérer cette pulsion. La sublimation dont il est question ici c’est le report de l’énergie qu’il y a dans le besoin sexuel sur une œuvre, sur un travail, un service ou un effort. Il s’agit d’une sorte de traduction de notre fécondité primaire vers une autre fécondité, plus opportune à ce moment-là. Un homme qui n’a pas appris à sublimer son besoin sexuel ne peut pas prétendre à la liberté.


Et la meilleure des bonnes nouvelles c’est que l’épanouissement affectif n’est pas foncièrement mêlé au plaisir sexuel, qu’il peut – et doit - être recherché quel que soit l’état de vie de la personne. D’ailleurs, ignorer ce besoin affectif est particulièrement préjudiciable pour la personne : « D’authentiques formateurs savent qu’il n’est pas bon de témoigner trop de complaisance vis-à-vis de ceux qui agissent de façon excessivement chaste ou sérieuse, avec ceux qui sont rigides ou froids, mais aussi avec ceux qui ont déjà réglés leurs problèmes, qui n’ont aucune difficulté et qui pensent pouvoir lire tout, entendre tout, et voir tout. […] Ceux-ci sont les moins fiables. La présomption est un autre très mauvais signe »[12].


Seulement voilà : puisque la décharge de cette pulsion sexuelle est encore le moyen le plus facile pour apaiser la tension, le fait de sublimer cette pulsion va demander de la part de l’homme un renoncement. Le conférencier distingue ici de façon très judicieuse le renoncement de la frustration : alors que dans la frustration l’homme lutte contre les événements extérieurs qui l’empêchent d’atteindre son plaisir, dans le renoncement l’homme lutte contre lui-même. Dans le cas de la frustration il y a violence et destruction, tandis que dans le cas du renoncement il y a force et édification.


Cette distinction est extrêmement importante pour le parent ou l’éducateur, et il semble qu’une bonne partie de ce dilemme entre frustration et renoncement dépende de la confiance en Dieu : c’est parce que l’homme croit que son combat est possible et qu'il l’amènera à davantage de fécondité qu’il peut tenir. Malheureusement, trop d’hommes se retrouvent seuls dans ce combat. A ce sujet il est important de rappeler aux mères que ce domaine de lutte est un territoire d’hommes, et il arrive qu’en voulant bien faire elles se montrent maladroites avec leur ado et augmentent son sentiment de solitude. Ce n’est pas tout à fait la même chose avec les épouses, car celles-ci sont directement concernées par la sexualité de leur mari. Quoiqu’il en soit, il est important que les hommes s’épaulent dans ce combat. En l’occurrence, le témoignage d’un père peut parfois sauver la confiance du fils.


Conclusion partie 2

Pour résumer, l’accès à internet contribue à amplifier la tendance au cloisonnement de l’homme ainsi que la perte de ses repères dans la réalité. Ce combat pour le réalisme et l’intégrité de la personne est vital, il s’agit d’un combat pour sa stabilité et pour sa fécondité.


Un homme mûr doit être capable d’entrer en relation et de supporter la solitude, il doit être capable de se remettre en question et de s’engager au-delà de ses intérêts immédiats. Il doit être capable de dépasser la frustration et de renoncer à la satisfaction de ses besoins lorsque le bien l’exige. Et il ne peut pas y arriver sans un accompagnement attentif, affectueux et encourageant.


Y a du boulot.


3) La réponse philosophique

Essayons maintenant de prendre un peu de recul sur la situation actuelle. Nous avons vu l’état de la situation au niveau de la consommation de pornographie, qui ne représente rien d’autre qu’une fuite du réel. Nous avons vu ce qu’il faut pour ramener sur terre la personne, et en faire un homme libre. Penchons-nous à présent sur cet outil, internet. Si vous avez pris le temps de visionner la vidéo de Michel Desmurget, vous savez qu’un enfant de maternelle passe en moyenne 3 heures par jour sur les écrans, un enfant de primaire 5 heures et un adolescent 7 heures.


Qu’est-ce que cela signifie ? La question d’internet n’est en réalité que la question de notre rapport au réel. Selon Jacques Ellul, ce qui nous gêne dans le « réel » c’est qu’il n’est plus humain. Selon le philosophe, nous avons été privés de notre humanité par la technique – qui, soit dit en passant, ne se résume pas à la machine. Un étrange phénomène s’est répandu aux alentours de la révolution industrielle, une sorte de volonté de rationalisation de l’existence que nous n’avions pas vu depuis l’empire romain s’est réveillée, un Léviathan monstrueux qui vomit sans cesse des lois, des normes, des décrets qui écrasent les coutumes, les traditions, les relations.


Nous avons déjà parlé de cette prévalence systématique des chiffres, cette science mathématique qui a détrôné la métaphysique et qui prétend tout réduire à des données quantitatives. Le fait est que dorénavant nous ne nous demandons plus si quelque chose est juste lorsque nous créons, nous nous posons seulement la question de l’intérêt. Voilà pourquoi nous perdons la mesure de l’homme au milieu de ces organisations gigantesques, voilà pourquoi nous ne nous retrouvons plus dans notre système administratif rempli de technocrates, voilà pourquoi nous ne nous savons plus nous retrouver autour de la table familiale, chacun gardant le nez dans son écran. Nous ne nous retrouvons plus.


Il y aura toujours des personnes pour dire que l’outil n’est que ce que l’on en fait. Vous avez donc le choix entre consulter la vidéo du professeur Desmurget, la conférence de Mgr Wong ou le livre La technique ou l’enjeu du siècle de Jacques Ellul, en accès libre ici. A choisir, autant cantonner son usage au strict nécessaire. Si je peux me permettre un conseil, l’expérience de mettre internet à la porte vaut le détour.


Bonne lecture, et bonne semaine !

[1] étude Ofcom Online nation 2021 report, 9 juin 2021 - disponible ici [2] Rapport d'information de Mmes Annick BILLON, Alexandra BORCHIO FONTIMP, Laurence COHEN et Laurence ROSSIGNOL, fait au nom de la délégation aux droits des femmes n° 900 tome I (2021-2022) - 27 septembre 2022 - disponible ici [3] Accessible via ce lien (cliquer sur le bouton « télécharger ») : Statistiques sur le porno chez les catholiques - EN SORTIR attention il n’y a pas de source ni de date pour l’étude citée. [4] Audience du pape François aux séminaristes et aux prêtres du 24 octobre 2022, disponible ici. [5] cf étude ofcom citée plus haut. [6] Extrait du document pornographie et violence dans le média : une réponse pastorale, du conseil pontifical pour les communications sociales, le 7 mai 1989. Accessible ici. [7] Conférence « The internet and pornography » présentée par l’équipe VIRTUS lors du Gregorian symposium sur les abus sexuels en février 2012, accessible ici (la traduction et le surlignage sont de bibi) [8] Ibid. [9] Conférence de Jorge Carlos Patron Wong, évêque auxiliaire de Papantla (Mexique), Candidates for the Priesthood and Religious Life. Selection, Screening and Formation, lors du Gregorian symposium de février 2012, accessible ici [10] Ibid. [11] Étude citée ici par l’auteur : « W. Masters, V. Johnson, La respuesta sexual humana, Buenos Aires, Intemédica, 1978. » [12] L’auteur cite ici « A. Cencini, Nel amore. Libertá e maturitá affettiva nel celibato consacrato, Bologna, EDB, 1995. »



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