Bonjour !
Aujourd’hui, nous persistons et signons la suite d’articles sur la caractérologie. Nous avions commencé par cet article en décrivant l’articulation de l’émotivité, l’activité et le retentissement des représentations qui forment à eux trois les piliers de l’école de caractérologie classique. Nous avons ensuite parlé ici du nerveux et du sentimental, deux caractères délicats. Ensuite, nous avons abordé dans cet article le colérique et le passionné, les deux caractères les plus intenses. Il y a deux semaine, nous avons évoqué le sanguin et l’amorphe dans cet article, et aujourd’hui c’est le tour du flegmatique et de l’apathique.
Je sais bien qu’à lire deux termes pareils votre curiosité doit vous tomber dans les chaussettes, mais vous risquez d’être surpris…
Le flegmatique
Le flegmatique est Non émotif, Actif, Secondaire. Vous pouvez déjà constater que le terme parait peu approprié : pourquoi appeler un caractère « flegmatique » s’il a une activité supérieure à la moyenne ?
Peut-être que l’absence d’émotivité couplée à la secondarité donne l’impression que ce caractère est paresseux. Un peu comme un hobbit du Seigneur des Anneaux, le flegmatique ne cherche pas le mouvement mais fait ce qui doit être fait. Le couple non émotif/actif est très intéressant, pour reprendre l’image du tracteur il faut voir un bon moteur, bien huilé mais qui a peu de carburant. Ou plutôt un carburant peu réactif.
Si on ajoute à ces ingrédients la secondarité, cela donne une puissance d’action peu ordinaire, parce que sans éruption (à cause de la non émotivité) : l’inertie est monumentale, l’acte est précis et sans effusion, il atteint presque toujours son but. Par contre cela donne au flegmatique une certaine lenteur. Il prend son temps pour faire les choses mais il les fait bien, jusqu’au bout.
Le flegmatique est le caractère le plus objectif de tous, avant même le passionné dont l’émotivité peut affecter le jugement. Aux antipodes du nerveux, le flegmatique ne se laisse pas confondre par les événements. En fait, il n’est presque pas concerné par ceux-ci. Pensons à Kant, dont la régularité dans la promenade quotidienne est légendaire.
D’ailleurs, l’exemple de Kant en tant que flegmatique est intéressant : sa philosophie est un trésor de minutie, un exposé de méthode impressionnant. Mais on s’aperçoit que la méthode, la rigueur, la précision des notions dont il fait preuve sont d’une grande froideur. La Vérité, pour Kant, domine l’Amour et l’écrase. Tout est soumis au principe de causalité, tout doit s’y réduire de gré ou de force et si l’amour existe, c’est forcément pour une raison, il ne peut pas exister pour lui-même. Le mystère de l’aséité divine est, ainsi, particulièrement brutal pour le flegmatique.
On comprend par ce biais que l’objectivité ne fait pas tout dans la recherche de la Vérité. Souvenez-vous des dérives de l’idéalisme, cette idéologie qui néglige le matériel comme s’il s’opposait au spirituel. L’objectivité dont fait naturellement preuve le flegmatique n’est qu’une vérité en négatif, ce qu’on pourrait appeler une vérité mathématique. C’est très froid, il manque quelque chose. Avec une vérité mathématique, on parvient à un classement quantitatif des choses mais on ne peut pas accéder à la qualité. On reste dans un tableau en noir et blanc, sans couleur.
Nous avions parlé à propos du nerveux d’un éclair de lucidité qui apparait de temps à autre, d’une espèce de vision instinctive d’un pan de la réalité. Cet éclair est fugace, c’est celui des poètes et il révèle quelque chose de la réalité que le flegmatique ne parvient pas spontanément à saisir, tout comme le nerveux est incapable d’admettre l’objectivité du flegmatique.
Cet éclair, c’est pourtant la vie elle-même : il contient d’une certaine façon tout ce qu’il y a de fou dans le monde, toute notre humanité. En fait, il semble que l’inactivité et l’émotivité du nerveux éclairent la primarité dans toute sa splendeur, qu’elles lui donnent tout son relief tandis que l’activité et l’inémotivité du flegmatique montrent jusqu’où peut aller la secondarité. Si deux caractères sont incapables de se comprendre spontanément, ce sont bien ces deux-là.
La grande vertu du flegmatique est donc surtout un manque. Qu’on pense à l’introduction du personnage de Claude Batignol dans le film Le Prénom :
« Claude Gatignol, premier Trombone de l'Orchestre Philharmonique de Radio France. Balance ascendant balance, Claude est à l’image de son signe astrologique, d’une douce humeur toujours égale... Un homme discret, donc, à l'humour feutré, qu'on peut plus facilement décrire par soustraction. Claude n'est pas coléreux, il n'est pas fantasque, il n'est pas malhonnête. Il n'est pas, en quelque sorte. »
En tant que secondaire, et contrairement aux primaires, le flegmatique se repose dans le calme et le lien social lui demande un effort. Il a besoin de réfléchir aux choses avant de les vivre, et une fois qu’elles sont passées il a besoin de revenir dessus pour comprendre. Mais l’attachement du flegmatique aux événements ne doit pas être confondu avec la mélancolie du sentimental : le flegmatique n’est pas spécialement inquiet, il n’analyse pas les choses pour se lamenter sur la vanité de l’existence mais pour les classer soigneusement.
Les éducateurs identifient deux sortes de flegmatiques : les flegmatiques qui gardent une certaine curiosité, une certaine souplesse et qui reconnaissent l’importance d’être en relation avec les autres ; et les flegmatiques plus rigides, plus fermés et plus focalisés. La différence entre les deux se perçoit au niveau des marottes. Si les rituels dont est friand le flegmatique n’ont pas d’autre logique que le fait de le rassurer, alors on a un flegmatique rigide. Par exemple, un flegmatique qui lave ses chaussettes toutes les semaines à la même heure, c’est plutôt normal pour un flegmatique. Mais lorsque les chaussettes en question n’ont pas été utilisées de la semaine, qu’elles sont restées dans un placard et non pas servi du tout, si à ce moment-là le flegmatique les prend quand même pour les laver, on peut considérer que le flegmatique est plutôt fermé.
Mais même les flegmatiques les plus fermés ne sont pas des automates, il leur arrive à l’occasion de sortir d’eux-mêmes pour goûter un peu de compagnie, comme s’ils avaient conscience de leur solitude. Dans l’atmosphère d’une soirée entre amis, ils se réchauffent et peuvent montrer une animation qui va surprendre les convives. C’est rare, pour les plus fermés ça peut arriver peut-être trois fois par an, mais cela en dit long.
Voilà pourquoi il est essentiel d’apprendre au flegmatique à se sociabiliser. Le fait de travailler en équipe ne lui sera d’aucun intérêt intellectuel, en revanche l’intérêt moral est incontestable. Ici aussi (décidément…) les auteurs recommandent à l’unanimité le scoutisme, parce que dans ce genre d’activité le lien social est efficace. Dans une patrouille scoute qui se respecte, les scouts ne se regardent pas en chien de faïence mais agissent, ce qui facilite grandement l’intégration.
D’ailleurs, il ne faut pas croire que la famille soit pour le flegmatique un espace de socialisation comme un autre. Le flegmatique est chez lui en famille, le terrain est trop balisé pour qu’il fasse de réels progrès au niveau social.
En revanche, en plus de chercher à favoriser la socialisation du flegmatique à travers des activités concrètes, l’éducateur dispose d’un levier que beaucoup trouveront très satisfaisant : le discours. Contrairement à tous les autres caractères, le flegmatique pourra profiter d’un exposé théorique. Son intelligence est formelle, elle est entièrement calibrée pour le système académique car il aime par-dessus tout l’ordre. Il sera donc sensible aux arguments rationnels que lui proposera l’éducateur.
Apathique
Passons maintenant à l’apathique. Comme on dit, le meilleur pour la fin ! Non-émotif, inactif, secondaire. Avec ce caractère on comprend que la secondarité est un amplificateur, en positif comme en négatif : quand il y a de l’émotivité et de l’activité comme chez le passionné, la secondarité coordonne l’énergie et structure les efforts. Quand il n’y a ni émotivité ni activité, la secondarité paralyse et fragmente la personne, elle le cloue au sol.
Autant, chez l’amorphe, il y avait la primarité : l’amorphe peut jouer dans la cour, et s’il se paralyse lorsqu’on lui demande de faire preuve de volonté dans une tâche particulière, si sa force mentale est nulle, il y a tout de même une certaine vitalité en lui, presque à son insu d’ailleurs ; autant chez l’apathique, il n’y a ni force mentale, ni force affective, ni force vitale. On n’est pas loin de l’encéphalogramme plat.
Pourtant, l’éducateur peut se laisser tromper par l’attitude de l’apathique, et croire que son silence est une méditation. Le problème, c’est que derrière cet air pensif il n’y a rien que du vide. Dès lors, comment faire ? Les éducateurs recommandent d’offrir un régime particulier à l’apathique, un régime qui puisse lui procurer les vitamines qui lui manquent.
Sur un plan éducatif, il faut prendre conscience de la fragmentation que génère la secondarité chez l’apathique. Puisqu’il manque de vie, l’apathique fonctionne en permanence en mode économie d’énergie, d’où le fait qu’il se structure avec des habitudes. La secondarité cherche à systématiser le fonctionnement de l’apathique en automatisant au maximum ses activités quotidiennes. Autant pour d’autres caractères les habitudes et les rituels étaient bénéfiques (car structurants), autant pour l’apathique les habitudes morcellent son identité. Par exemple, l’apathique entre dans sa classe. Il s’assied à sa table, il ouvre son sac, il pose sa trousse sur sa table et il fait mine d’écrire mais aucun de ses gestes n’est vécu comme un acte délibéré, il s’agit simplement de réflexes automatiques.
Le Gall rapporte l’observation d’une institutrice, qui avait dans sa classe une apathique. La maîtresse précédente avait jeté l’éponge, elle qualifiait simplement la petite Thérèse « d’idiote ». Un jour, l’institutrice s’adresse à la classe en employant l’expression « lisse comme les plis du tablier de Thérèse ». Au moment où elle fait ce compliment discret, elle constate une lueur fugace dans les yeux de la petite au fond de la classe. Plus tard, elle s’approche du poêle à charbon qui est à côté de Thérèse, et lui demande d’un air absent de lui tenir la pelle le temps qu’elle bidouille quelque chose. Thérèse prend la pelle, et de fil en aiguille l’institutrice parvient à susciter une relation avec son élève. Avec beaucoup de tact et de délicatesse, elle nourrit le lien et suscite des habitudes plus élaborées… L’institutrice affirme qu’au bout de quatre mois, Thérèse savait presque lire.
Cet exemple montre à quel point il est nécessaire, quand on doit éduquer un apathique, d’avoir un poêle à charbon. Plus sérieusement, on retrouve ici cette posture si particulière recommandée pour l’éducation du nerveux, ce mélange de vigilance et de discrétion. Pour le nerveux il s’agissait de ne pas exciter son besoin de faire sensation, mais ici il s’agit plutôt de ne pas surcharger l’apathique, de ne pas l’effrayer. En agissant ainsi, l’institutrice fait à Thérèse une place évidente dans la classe, une place qui tombe sous le sens au point qu’elle peut lui confier quelque chose sans même y penser, comme tenir une simple pelle à charbon. Par cette approche, l’institutrice annule toute forme de confrontation ou même de vis-à-vis avec la petite apathique. La relation va de soi, elle est déjà complètement assumée par l’adulte et il ne reste plus à l’apathique qu’à se laisser porter. Plus encore, l’intégration est assumée devant la classe entière.
On voit bien que l’éducation de l’apathique relève plus du sauvetage que d’autre chose. Il est intéressant de noter d’ailleurs que ce sauvetage passera par l’affect. De fait, puisque la difficulté principale de l’apathique est dans le morcellement de la personne, c’est l’unité qu’il faudra travailler et la force qui permet l’unité c’est l’affect. L’autre force nécessaire, celle qui permet l’adaptation au milieu, est l’intellect et viendra en second. D’ailleurs, cette deuxième force dispose déjà des fondations nécessaires grâce à la secondarité, elle est donc moins urgente à travailler.
Voilà ce que l’on peut dire au sujet des caractères. Les développements de la caractérologie sont nombreux. Il y a même un religieux, Paul Griéger, qui s’est penché sur la caractérologie ethnique dans les années 50. Le Senne déjà avait joué à ça, en disant que le nerveux vient d’Italie (et plus particulièrement de Venise), le sentimental est espagnol (comme don Quichotte), le colérique est américain ou français, le sanguin est britannique et le flegmatique est allemand.
Tout ce qu’on peut dire c’est qu’il faut de tout pour faire un monde… Encore une fois si vous voulez davantage de précisions sur tel ou tel caractère je vous conseille les ouvrages suivants :
- René le Senne (Traité de caractérologie),
- P. Mesnard (Education Et Caractère) ,
- André le Gall (Caractérologie Des Enfants Et Des Adolescents À L'usage Des Parents Et Des Éducateurs),
J’ai aussi entendu beaucoup de bien du livre de Gaston Berger : Traité pratique d’analyse du caractère, mais pour tout vous dire j’ai fait une petite overdose du sujet ces derniers mois et je ne l’ai pas lu.
Mais j’allais vous laisser sans même vous expliquer comment reconnaitre un caractère ! Où avais-je la tête, à force de manger les épinards en premier on oublie le steak. Sachez qu’il y a deux moyens d’identifier un caractère : un bon moyen et un moyen facile.
Le bon moyen, c’est de se renseigner sur les caractères, de lire des cas pratiques, de comprendre la caractérologie. Ensuite, vous identifierez sans difficulté la plupart des caractères. Le gros avantage de cette méthode c’est qu’elle est vivante et ne dépend pas de réponses faites à un instant t.
Le moyen facile, c’est de remplir le questionnaire ci-dessous et de le dépouiller. On risque d’avoir tous les biais liés au remplissage de questionnaire, mais au moins c’est rapide. L’avantage quand même de ce moyen c’est d’offrir un seuil concret pour qualifier l’émotivité, l’activité et le retentissement des représentations d’un individu. Il faut reconnaitre que même avec une bonne connaissance de la caractérologie le questionnaire est utile. Vous allez rire : il y a encore quelques semaines, j’avais un lien URL pour accéder à un questionnaire en ligne, qui s’occupait de dépouiller les réponses automatiquement. Très pratique ! Mais ce lien ne fonctionne plus. Dommage, il va falloir sortir son stylo…
Voilà, nous en avons terminé avec la caractérologie ! J’espère que le sujet n’a pas trop trainé en longueur, et que vous avez appris quelques trucs.
La prochaine fois, il y aura une petite surprise... Un nouveau rédacteur a rejoint l'équipe! Et il va nous faire redécouvrir un super bouquin. J'en dis pas plus, il vous en parlera bien mieux que moi.
Bon questionnaire, et bonne semaine !
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