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Aujourd’hui, nous continuons la série sur la caractérologie. Après avoir fait une présentation générale de l’école classique de caractérologie ici, nous avons présenté le caractère du nerveux et du sentimental ici, puis du passionné et du colérique ici. Le moment est venu de parler du sanguin et de l’amorphe.
Le Sanguin
Commençons par le sanguin. Non Emotif Actif Primaire, ce caractère est tout à fait intéressant à étudier. On l’appelle le caractère de la joie, vous allez comprendre pourquoi.
La première chose à savoir c’est qu’en raison de son manque d’émotivité, le sanguin n’a pas grand-chose à l’intérieur. Attention, comme nous avons pu le dire dans l’article d’introduction, l’absence complète d’émotivité n’existe pas, il y a toujours un petit quelque chose. D’ailleurs, il semble que le sanguin soit rarement non-émotif à l’extrême, il est plutôt en dessous de la moyenne.
Cet espèce de vide interne ne tourmente pas le sanguin : on est loin des inquiétudes du nerveux et du sentimental. Puisque l’activité est bonne, la machine fonctionne plutôt bien, mais il y a peu de carburant. Le sanguin ne possède donc pas non plus l’élan qu’on retrouve chez le passionné et le colérique. Le sanguin est l’inverse du sentimental, duquel on pouvait dire qu’il était comme un « corps vivant prisonnier d’un corps mort ». Ici ce serait plutôt un corps vivant abritant un corps mort.
Mais l’émotivité ne fonctionne pas comme l’activité : pour schématiser, l’émotivité c’est l’énergie affective, autrement dit elle trouve son motif à l’extérieur et déclenche quelque chose à l’intérieur. L’activité, en revanche, est l’énergie mentale (la volonté) : elle trouve sa force à l’intérieur et déclenche quelque chose à l’extérieur. Voilà pourquoi on disait dans l’article d’introduction qu’il est plus difficile de susciter l’activité que l’émotion chez l’enfant, car l’activité prend racine dans les profondeurs de l’être.
Donc l’inémotivité ne pèse pas chez le sanguin comme l’inactivité pèse chez le sentimental. Chez ce dernier, c’est bien un poids mort tandis que chez le sanguin, la faible émotivité n’est pas perçue comme un manque. Au contraire, cette absence relative d’émotivité semble « libérer » le sanguin de bien des tracas.
En fait, quand on voit ce qui se passe chez le sanguin, on comprend que l’émotivité est un élément incontournable de la conscience et de la morale. On observe en effet que moins les caractères sont émotifs, moins ils sentent les exigences de la morale : chez le sentimental cela va même trop loin et tourne au scrupule. On objectera peut-être à cette réflexion que le nerveux, caractère poétique et désinvolte, ne parait pas si soucieux de la morale alors qu’il est émotif ; mais il faut rappeler que cette désinvolture est de façade et que les nerveux sont d’abord des poètes maudits. Ce n’est qu’en luttant contre sa conscience que le nerveux prétend être « libre ».
Ici, pas de lutte, et c’est bien déconcertant. La morale, comme tout le reste d’ailleurs, vient de l’extérieur pour le sanguin. Il pourra donc faire suivre un acte de la plus touchante gentillesse par une fourberie des plus inattendues, et ce sans sourciller. On est alors tenté de croire que le fond du sanguin est mauvais, qu’il a quelque chose de pervers et de calculateur. Ce serait une erreur : si le sanguin calcule, c’est uniquement pour s’adapter à son entourage. Car ce que les autres ressentent, il lui faut l’imaginer.
Le sanguin aura donc tendance à être un suiveur, car il n’a pas d’autre choix que de suivre l’exemple des autres pour apprendre à vivre. Ça a de bons côtés : c’est auprès de ce caractère que l’éducation aura le plus d’influence, au contraire du passionné qui est presque trop autonome pour suivre les principes éducatifs venant de l’extérieur. Quand un éducateur affirme que les enfants sont une page blanche, il parle en fait des sanguins.
Etant le caractère le plus disponible de tous, le sanguin sera le plus à même de faire plaisir, car il a compris rapidement que c’était là le meilleur moyen d’obtenir ce qu’il souhaite. Ainsi, s’il cherche à obtenir de bonnes notes à l’école, c’est pour faire plaisir à son professeur. D’ailleurs il pourra tricher, toujours dans le même objectif. Mais il ne faudrait pas en déduire que le sanguin manque de profondeur ou d’intelligence.
A ce sujet Le Gall offre une réflexion très intéressante : il explique que l’intelligence dépend de deux choses : l’analyse (le fait de diviser un tout en plusieurs éléments, de discerner les rouages d’une machine) et la synthèse (le fait d’assembler un tout à partir de plusieurs éléments, de reconstruire la machine à partir de ses rouages).
C’est très intéressant parce que l’un ne va pas sans l’autre : ce n’est pas le tout d’analyser ou de critiquer, il faut aussi savoir construire. Or on a un peu trop souvent tendance à croire que l’intelligence s’arrête à l’analyse, alors que ce n’est que la moitié du travail. Et surtout, sans la synthèse l’analyse est comme débridée, déconnectée du réel. Ce n’est que lorsque la synthèse a lieu que l’on confronte la pensée à la réalité, qu’on la met véritablement à l’épreuve. C’est pour ça aussi que les secondaires, qui sont plus forts en analyse qu’en synthèse, sont souvent perfectionnistes : ils cherchent l’essentiel et peuvent aller très loin mais ne savent pas forcément revenir sur terre, surtout lorsqu’ils sont émotifs.
Les primaires, qui ont davantage de dispositions pour la synthèse, voient l’aspect pragmatique de la question : un bon rouage est un rouage qui est à sa place, dans la machine. Cette finalité a toutefois aussi son excès, car le primaire peut être tenté de rester à la surface des choses, de ne s’intéresser qu’au fait qu’elles fonctionnent et risque de ne pas se poser la question du sens de la machine, de la raison qui la pousse à fonctionner. La synthèse, dans cet esprit, peut être utilisée comme un moyen de défense. On agit pour ne pas penser.
Malgré tout, il y a bien une intelligence de l’action et le sanguin illustre cela à la perfection. C’est pourquoi, au fil des ans et pour peu que l’éducation que reçoit le sanguin lui permette de mettre en place des habitudes constructives, il connaitra une croissance exemplaire.
En somme, l’éducation du sanguin doit être constante, et l’éducateur ne doit pas s’offusquer de cette espèce de vacuité intérieure mais plutôt chercher à la structurer par de bonnes habitudes. Attention, il faut savoir que le sanguin prend ses marques très tard, souvent entre ses 18 et ses 20 ans (d’ailleurs la puberté des sanguins est très tardive). Il risque donc d’être perdu après la scolarité car il n’aura fait que s’adapter au système scolaire sans développer de réelle autonomie. C’est un peu l’inverse du passionné, qui s’adapte mal à l’école parce qu’il sait trop que ce n’est pas la réalité. Cela signifie que la structure qu’on cherche à développer chez le sanguin reste longtemps fragile, qu’il ne faut pas le laisser trop tôt en se disant que tout va bien.
Le sanguin a un levier de développement particulièrement puissant : la curiosité. Ne trouvant rien à l’intérieur de lui-même, il est constamment poussé vers l’extérieur, pour le pire et pour le meilleur. En conséquence, il faudra le surveiller, et plus spécialement vis-à-vis du domaine sexuel. Toutefois, parce qu’au fond le sanguin est détaché, il est moins sujet aux obsessions et se laisse atteindre moins profondément que le sentimental ou le nerveux par exemple. Il faut se dire qu’il n’est pas plus attaché au mal qu’au bien.
Malheureusement, cela concerne aussi la foi. Il faut une grâce toute particulière pour que le sanguin se laisse toucher au cœur, sans quoi sa dévotion risque fort de rester à un niveau mondain. C’est pourquoi bon nombre de sanguins célèbres – comme Voltaire – étaient peu religieux, voire anticléricaux.
Au niveau de son éducation, il est important de ne pas s’arrêter aux apparences avec le sanguin : comme on l’a dit, ce n’est pas parce qu’il fait ce qu’on attend de lui ou qu’il nous dit ce que nous voulons entendre qu’il a compris ce qui est en jeu. Il faut donc avoir l’énergie de dépasser régulièrement les faux-semblants avec lui, et d’user de sa curiosité pour le guider, pour l’aider à dépasser les apparences. Enfin, il est bon de lui proposer de bons exemples à suivre. Ici aussi les scouts seront une excellente école de vie.
L’amorphe
L’amorphe, qu’un auteur plus récent appelle par délicatesse « placide », est un des deux caractères les plus étranges qui soit avec l’apathique, appelé par le même auteur « nonchalant ». Ces deux caractères semblent au point mort, car ils sont tous deux non-émotif et inactifs. Chez les six autres caractères, on a l’un ou l’autre de ces leviers mais ici on n’a aucun des deux.
J’ai l’impression – mais ici je parle en mon nom, les auteurs ne le disent pas clairement – que ces deux caractères, l’amorphe et l’apathique, s’installent suite à des tares éducatives importantes, qui n’ont pas permis d’exprimer une émotivité ou une activité qui était pourtant en germe. Il y a peut-être aussi des facteurs biologiques qui jouent. Cela rejoint l’idée selon laquelle il n’y aurait en réalité que deux distinctions fondamentales entre les caractères (Primaire/Secondaire), dont l’activité ou l’émotivité seraient des variables d’intensité.
L’amorphe est non-émotif inactif primaire. C’est dans ce genre de situation qu’il est bon de répéter que personne n’est vraiment non-émotif et personne n’est vraiment inactif. Il semble juste qu’ici on soit vraiment au ras des pâquerettes.
Pour comprendre l’amorphe, imaginons un sanguin paresseux, dépourvu de curiosité. Puéril, mou, lui aussi fera sa crise d’adolescent très tard, vers 20 ans.
L’amorphe est entouré d’une sorte de bulle de mollesse, une aura de paresse d’ailleurs souvent protégée par la mère. C’est un éternel bébé, qui n’a pas été aidé à grandir. La première chose à faire sera donc de questionner la relation entre l’amorphe et sa mère, d’y introduire la loi du père.
Pour éduquer l’amorphe, il va falloir encore plus d’énergie que pour le sanguin. Ici il ne s’agit pas de guider la curiosité – l’amorphe n’en a pas suffisamment -, mais de mettre l’amorphe dans un tunnel avec d’un côté la punition et de l’autre la récompense, et de maintenir ce tunnel coûte que coûte, en bloquant toute alternative.
Voyons maintenant ce qu’on peut faire pour susciter l’émotivité et entrainer l’enfant à l’activité. Cela permettra de le tirer vers un caractère proche, comme le sanguin ou le colérique.
Susciter l’émotivité
Pour accroître l’émotivité de l’enfant, on pourrait croire qu’il suffit de le bombarder de stimulations sensorielles, qui ne manquent pas autour de nous. Mais ce serait passer à côté du rôle de l’émotivité. L’émotivité n’est pas un simple moteur, elle est en dernier lieu une ouverture à la transcendance. On ne cherche pas simplement à susciter de l’énergie chez l’enfant mais à l’attirer vers ce qui est Bon, ce qui est Beau, ce qui est Parfait.
Nous avons déjà pu dire que notre hyperémotivité moderne s’arrête trop souvent aux portes de notre âme. C’est comme si nous cherchions à jouir du beau en refusant ce vers quoi le beau nous porte. Or, comme le dit Saint Jean-Paul II, « la beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance. Elle est une invitation à savourer la vie et à rêver de l'avenir.»[1]
Pour éduquer l’émotivité ou pour susciter une émotivité digne de ce nom, il va donc falloir mettre l’enfant en contact avec la beauté véritable, celle qui émerveille et qui édifie.
Nous avons parlé dans ce blog des principes éducatifs de Charlotte Mason. Dans cette pédagogie exceptionnelle et méconnue, le beau a une place toute spéciale. Ainsi, au-delà de sensibiliser les enfants aux grands classiques de l’art, les éducateurs sont encouragés à ne leur fournir que des matières « nobles » dans leurs petits travaux : travailler le cuir, manipuler du bois, etc… Car le beau et la nature sont des repères objectifs édifiants, ce que notre société a eu tendance à oublier dernièrement.
Figurez-vous, à ce propos, qu’en 2014 est né un mouvement artistique international qui s’appelle Art Résilience. Ce mouvement se dresse courageusement contre les dérives monumentales des mouvements artistiques depuis plus d’un siècle, et cherche à retrouver les racines objectives de la beauté : « Refonder l'art sur le beau, refonder le beau sur la nature », voilà son credo. Si ce sujet vous intéresse, je vous conseille les deux livres suivants : L'Hiver de la culture, de Jean Clair chez Flammarion, 2011 (franc mais ampoulé) et Who Says That's Art?: A Commonsense View of the Visual Arts de Michelle Marder Kamhi chez illustrated, 2014 (plus simple, mais anglais. On ne peut pas tout avoir.)
Voilà, c’est en faisant la distinction entre l’émerveillement devant le beau et l’excitation anarchique des sens que l’on va pouvoir sensibiliser l’enfant au langage objectif et édifiant de la beauté. C’est ainsi qu’on pourra augmenter sa réceptivité affective. Mais il ne faut pas oublier l’essentiel : La source et la fin de notre désir et de notre affection, c’est Dieu. Voilà d’ailleurs pourquoi l’art sacré est si riche…
Entraîner à l’activité
Pour encourager un enfant à l’activité, il va falloir l’aider à mettre en place des habitudes. Pour ce faire, l’environnement de l’enfant doit être clairement ritualisé, afin que ses habitudes puissent être intégrées comme quelque chose de nécessaire et naturel. La question du rythme est importante : demander un rythme de vie soutenu à un enfant alors que la famille vivote paresseusement est contradictoire. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’internat peut être une solution intéressante, notamment pour l’amorphe : le train de vie de l’internat va lui rendre plus facile le fait de suivre le mouvement.
C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les auteurs recommandent sans cesse le scoutisme, car il s’agit d’un excellent levier d’activité. On remarquera d’ailleurs que l’autonomie dont dispose l’enfant a un grand impact sur l’ancrage de l’activité. Or, au scoutisme il y a peu d’adultes et ceux-ci ne sont pas présents en permanence parmi les jeunes. Et rendre des comptes à ses pairs n’a rien à voir avec le fait de rendre des comptes à ses parents…
Tout va dépendre de notre capacité à identifier les limites de l’enfant, pour le pousser au bon endroit au bon moment. Cette lucidité est trop souvent mise de côté, et elle distingue un bon éducateur d’un éducateur médiocre. Un mauvais éducateur, par exemple, va demander à l’enfant de dire ses limites, ce qui est une grosse erreur de jugement car nos capacités d’action sont intimement mêlées à notre contenance mentale (notre détermination, notre résolution).
Lorsque nous poursuivons un objectif, c’est notre capacité à focaliser notre énergie vers le but à atteindre qui va nous aider à agir. Cela ne concerne pas seulement le discernement de notre objectif, mais aussi l’acte en lui-même. Tout au long de notre effort, notre mental fédère notre énergie un peu comme un lien qui rassemble des fagots de bois. Dès que cet effort mental se relâche, l’acte se disperse et s’arrête.
Or la détermination semble ne pouvoir se développer que face à une limite. C’est parce que le mental se trouve devant une limite qu’il se contraint à l’effort. Il faut beaucoup de force pour savoir s’imposer une limite au-delà de sa zone de confort. Cela demande de la maturité, c’est pourquoi il est rare qu’un enfant soit en mesure de fixer la limite qui lui faut pour progresser. En fait, quand on y pense, les limites qui nous font vraiment progresser viennent de l’extérieur. Nous avons parlé de cela dans l’article L’apocalypse cognitive, quand nous réfléchissions autour de l’expression « nécessité fait loi ». Si ça vous intéresse, jetez-y un coup d’œil !
Reprenons. Contrairement au sentimental ou au nerveux, il ne faut pas craindre d’être sévère avec l’amorphe. En fait, il n’y a pas tellement d’alternative pour percer ce donut de mollesse. C’est ici qu’il faut appliquer ce passage du livre des proverbes (13, 24) : « Qui ménage sa trique n’aime pas son fils, qui l’aime vraiment veille à le corriger. »
Pour ne rien vous cacher je n’ai pas vu beaucoup d’autres conseils éducatifs concernant l’amorphe. Il faut juste beaucoup d’énergie pour le bouger, à priori on n’a pas besoin de la même subtilité que pour le nerveux par exemple.
Si vous souhaitez en savoir plus sur la façon d’éduquer les caractères, n’hésitez pas à lire le livre d’André le Gall dont je vous ai parlé : Caractérologie Des Enfants Et Des Adolescents À L'usage Des Parents Et Des Éducateurs.
Bonne semaine, et à bientôt !
[1] Saint Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 4 avril 1999, §16.
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