Aujourd’hui, je vous propose de découvrir un livre publié en 1956 par C. S. Lewis. Il ne s’agit ni du monde de Narnia, ni de l’excellent livre tactique du diable, mais d’un livre un peu moins connu : Un visage pour l’éternité (Till we have faces, en version originale).
Dans ce roman, Lewis reprend un épisode de la mythologie grecque, celui de Psyché. Petit rappel mythologique : Psyché est une jeune fille dont tombe amoureux Eros. Ils filent l’amour parfait, à ceci près qu’Eros interdit à Psyché de le rencontrer à la lumière du jour, et de ne jamais chercher à voir son visage. Seulement Psyché, poussée par ses sœurs qui sont jalouses, choisit de surprendre Eros pour voir son visage. Une nuit, elle allume donc une lampe dont l’huile – pas de bol – se renverse sur Eros qui se réveille et la quitte. Psyché ne retrouve Eros qu’après moult péripéties…
C.S. Lewis choisi de modifier trois choses dans ce mythe : le cadre, l’héroïne et l’élément déclencheur. Trois fois rien, en somme. Donc tout d’abord il choisit de situer l’intrigue dans un royaume barbare visiblement assez éloigné géographiquement de la Grèce antique. Il y a tout de même un esclave grec qui apporte ses lumières à deux princesses, Psyché et Orual. Orual n’est pas une chaîne de montagne, c’est un être humain (on ne choisit pas son prénom). C’est même la grande sœur de Psyché. Eros tombe bien sûr amoureux de Psyché, mais ce n’est pas par jalousie envers sa sœur qu’Orual complote pour mettre fin à sa relation avec Eros, c’est par amour pour Psyché, parce qu’Orual sent que l’amour d’Eros n’est pas bon pour sa sœur.
Bon, ça a l’air légèrement obtus, voire même abscons tout ça, alors laissez-moi vous expliquer pourquoi je vous importune avec ce bouquin-là. Il faut une bonne raison pour vous perdre dans les méandres de la mythologie un lundi matin. Rassurez-vous, j’ai une bonne raison.
Un visage pour l’éternité, c’est un roman qui, l’air de rien, vous emmène avec lui. L’intrigue se déploie sous la plume d’Orual, qui relate ces événements pour accuser le dieu de ses tourments, Eros. Vous reconnaissez ici l’intrigue du nœud de vipère de Mauriac : une personne qui écrit à la fin de sa vie tous les griefs qu’elle a accumulé, et qui vide son âme…
Cependant, contrairement au vieil homme du nœud de vipères, Orual est quelqu’un de bien. Autant le nœud de vipères nous aidait à comprendre comment la lumière peut survivre dans les ténèbres, autant un visage pour l’éternité nous montre comment « visage dévot et pieuses actions servent à enrober de sucre le diable lui-même ». D’un côté on a un vieil homme qui se défend d’aimer, de l’autre on a une vieille femme qui revendique la pureté de son amour.
La finesse psychologique de C.S. Lewis est telle qu’il nous amène à nous questionner sur nos bonnes intentions, sur ces moments où, persuadés d’avoir raison, nous nous fermons à la relation et parfois à la charité elle-même.
Sans cette finesse, on resterait des spectateurs critiques, sûrs que jamais nous ne pourrions tomber dans des pièges aussi grossiers. Malheureusement pour notre amour-propre, et heureusement pour notre cœur, ici ce n’est pas le cas. Il est impossible – à moins d’une mauvaise foi tenace, ce dont nous ne sommes pas à l’abris – de fermer ce livre sans une étape d’introspection propice à la contrition sincère de nos fautes, en particulier de nos fautes d’orgueil.
C’est tout l’intérêt d’une telle lecture : ce livre vous retire le goût de juger votre prochain, il décourage l’intégrisme où la Vérité semble primer sur la Charité. Il restaure le goût de l’avènement du royaume des cieux ici-bas, tel que décrit dans le psaume 84 (verset 11) : « Amour et Vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ».
Ne dédaignons pas ces livres qui nous aident à faire tomber les masques pour révéler notre vrai visage. Loin des scrupules ou de la fausse modestie, il s’agit de creuser notre épaisseur d’amour propre pour atteindre la contrition sincère de nos péchés. Il s’agit de désirer le bien, jusque dans notre âme.
Bonne lecture, et bonne semaine !
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