Bonjour !
Aujourd’hui, après toutes ces péripéties en lien avec l’actualité, nous allons reprendre notre rythme habituel à l'aide d'un roman. Mais pas n’importe quel roman… C’est l’histoire d’un jeune et fougueux noble anglais catapulté au beau milieu du conflit entre la maison de Hanovre et des Stuart, pendant la rébellion jacobite de 1745. C’est l’histoire de l’Ecosse. C’est l’histoire des highlanders, ces guerriers écossais aussi habiles que courageux, et non dénués d’humour... Voici un extrait du roman historique Waverley, de Walter Scott. Savourez !
« Il y eut un moment de halte quand toute la troupe fut sortie de la chaumière, et le chef des montagnards, que Waverley, en recherchant dans sa mémoire, crut reconnaître pour le vigoureux gaillard qui servait de lieutenant à Donald Beau Lean, commanda par des signes et des demi-mots le plus profond silence. Il remit à Édouard une épée et une paire de pistolets, puis, montrant la route, lui mit la main sur la poignée de sa claymore, comme pour lui faire comprendre qu’il leur faudrait peut-être recourir à la force pour se frayer un passage. Il se plaça alors à la tête de sa troupe, qui monta le sentier sur une seule file, à la mode des Indiens. Waverley était à côté du chef, qui s’avançait avec beaucoup de précaution, comme pour ne pas donner l’alarme, et s’arrêta quand il fut au haut de la montée. Waverley en comprit bientôt le motif, car il entendit à peu de distance une sentinelle anglaise crier : « All is well ! » Sa voix sonore, portée sur les ailes du vent, retentit jusque dans les broussailles de la vallée, et fut renvoyée par les échos d’alentour, et le même signal fut répété une seconde, une troisième et une quatrième fois, mais de plus faible en plus faible, comme de plus loin en plus loin. On ne pouvait douter qu’il n’y eût aux environs un détachement de soldats, et tous étaient sur leurs gardes ; mais toute cette vigilance ne put faire découvrir à la sentinelle des hommes aussi habiles dans toutes les ruses de brigands que ceux dont elle épiait alors inutilement le passage.
« Ces cris moururent donc dans le silence de la nuit, et les montagnards se remirent tout de suite en route, mais toujours avec plus de précaution et dans le plus grand silence. Waverley n’avait ni le temps, ni même l’envie d’observer, et il s’aperçut seulement qu’ils passaient à quelque distance d’un vaste édifice aux fenêtres duquel brillaient encore une ou deux lumières. Un peu plus loin, le chef montagnard flaira le vent comme un chien couchant, puis ordonna à sa troupe de s’arrêter une seconde fois ; il se mit à quatre pattes, enveloppé dans son manteau, de façon à ne point trop paraître au-dessus de la bruyère qu’il parcourait, et dans cette posture s’avança à la découverte. Il revint bientôt, congédia tous ses hommes, à l’exception d’un seul, et faisant signe à Waverley de l’imiter, ils se traînèrent tous trois, sans bruit, sur leurs mains et leurs genoux.
« Après avoir marché de cette manière pénible plus de temps qu’il n’en fallait pour s’abîmer les genoux et les jambes, Waverley sentit une odeur de fumée qui sans doute avait frappé beaucoup plus tôt l’odorat plus fin de son guide. Elle sortait du coin d’une bergerie basse et presque en ruine, dont les murailles étaient faites de cailloux, comme toutes les chaumières d’Écosse, Le montagnard conduisit notre héros jusqu’au pied du mur, et sans doute pour lui faire comprendre l’imminence du danger, ou peut-être pour lui donner une plus haute idée de sa propre adresse, lui fit signe, tout en lui donnant l’exemple, de lever la tête, et de chercher à voir dans la bergerie. Waverley obéit, et aperçut cinq ou six soldats étendus près de leurs armes ; ils dormaient tous, à l’exception de la sentinelle, qui se promenait de long en large, son fusil sur l’épaule ; la lueur rougeâtre du feu se réfléchissait sur le canon de son fusil, tandis qu’elle passait et repassait devant le foyer dans sa courte promenade, tournant sans cesse les yeux vers le ciel du côté où la lune, cachée jusqu’alors par le brouillard, semblait près de se montrer.
« En moins d’une ou deux minutes, par un de ces changements soudains d’atmosphère, si fréquents dans un pays de montagnes, une brise s’éleva et balaya devant elle les nuages qui avaient obscurci l’horizon ; puis l’astre de la nuit éclaira de toute sa lumière une vaste bruyère grisâtre, bordée de taillis et d’arbres chétifs dans la partie d’où ils venaient, mais unie et nue du côté qui leur restait à parcourir, de façon que la sentinelle pouvait tout voir. Les murs de la bergerie les cachaient bien tant qu’ils restaient baissés, mais il semblait impossible de quitter cet abri sans être aperçu.
« Le montagnard fixait la voûte azurée ; mais, au lieu de bénir l’utile clarté des cieux, comme les héros d’Homère, ou plutôt comme le paysan de Pope, surpris par la nuit, il murmura un juron gaëlique contre la lanterne de Mac-Farlane, qui brillait mal à propos[1]. Il regarda quelque temps d’un air inquiet autour de lui, puis sembla prendre une résolution. Laissant son compagnon avec Waverley, après avoir fait signe à Édouard de rester tranquille et donné à voix basse des instructions à son camarade, il s’éloigna, favorisé par l’inégalité du terrain, dans la direction qu’ils avaient prise, et de la manière qu’ils étaient venus. Édouard, le suivant des yeux, l’aperçut qui courait à quatre pattes avec l’agilité d’un Indien, profitant, pour n’être point vu, des moindres buissons, du moindre monticule, et ne franchissant jamais un endroit découvert qu’au moment où la sentinelle avait le dos tourné. À la fin, il gagna les taillis et les buissons qui couvraient presque toute la lande de ce côté et s’étendaient sans doute jusqu’au bord du vallon où notre héros avait si long-temps demeuré. Le montagnard disparut, mais seulement pour quelques minutes ; car il sortit de nouveau par un autre côté, et s’avançant bravement sur la bruyère comme pour se faire voir, épaula son fusil, et tira sur le factionnaire. Une blessure au bras interrompit fort désagréablement le pauvre diable au milieu de ses observations météorologiques et tandis qu’il s’amusait à siffler l’air de Nancy Dawson ; il riposta, mais sans succès, et ses camarades, éveillés par le bruit, coururent aussitôt vers l’endroit d’où était parti le coup. Le montagnard, après leur avoir donné le temps de l’apercevoir, s’enfonça dans les buissons, car sa ruse de guerre avait parfaitement réussi.
« Pendant que les soldats poursuivaient leur audacieux ennemi dans cette direction, Waverley, obéissant aux instructions du montagnard resté près de lui, parcourut à toutes jambes l’espace par où son guide voulait d’abord le conduire, et qui n’était plus ni surveillé, ni gardé, puisque l’attention du détachement était occupée ailleurs ; après un quart de mille, ils arrivèrent au sommet d’une petite colline où il était impossible qu’on les aperçût. Cependant ils entendaient encore dans le lointain les cris des soldats qui s’appelaient les uns les autres au milieu de la bruyère, et distinguaient aussi dans la même direction le bruit éloigné d’un tambour battant un rappel ; mais ces sons hostiles retentissaient bien loin derrière eux et mouraient avec la brise qui les apportait.
« Après une demi-heure de marche à travers une campagne toujours nue et stérile, ils rencontrèrent un vieux tronc de chêne qui, à en juger par les restes, devait avoir été d’une grandeur extraordinaire. Dans un creux voisin ils trouvèrent plusieurs montagnards avec un ou deux chevaux. Ils les avaient à peine joints, et le surveillant de Waverley leur expliquait sans doute le motif de leur retard, car on répéta souvent le nom de Duncan-Duroch, quand Duncan lui-même parut, hors d’haleine, il est vrai, comme s’il avait couru pour échapper à un péril, mais riant et tout joyeux de la réussite du tour qu’il avait joué à ceux qui le poursuivaient. Waverley n’eut pas grand peine à comprendre que cet emploi était facile à un montagnard agile, connaissant parfaitement les lieux et se dirigeant avec une certitude et une confiance qui devaient manquer à ses ennemis. L’alarme qu’il avait donnée paraissait durer encore, car on entendit à une grande distance un ou deux coups de fusil qui ne firent qu’augmenter la gaieté de Duncan et de ses compagnons. »[2]
Voilà, j’espère que cet aperçu vous donnera envie de lire la suite ! Walter Scott a publié en 1814 ce roman, que certains qualifient de "premier roman historique". Il n’y a pas à dire, il vaut le détour !
Bonne lecture, et bonne semaine !
Comments